arsenic

Run wild

Mardi 4 janvier 2011 à 19:49

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La fierté de la stabilité, tous l'avaient eu au même âge, en entrant au bureau de Berrault, sous-traitant d'un grand industriel de la région. La petite voiture grise de Brice n'était encore qu'une voiture d'occasion, achetée avec l'aide de ses parents lorsqu'il avait quitté le domicile familial. En cherchant une place sur le parking de l'entreprise, il se rendit compte que son premier travail stable lui permettrait enfin d'accéder à ses rêves de confort matériel; et, presque aussitôt, des visions de propriété, de sûreté, après plusieurs années d'instabilité estudiantine, lui virent à l'esprit. Charlotte et lui, coincés dans un appartement trop petit, partageaient cette envie d'un chez eux certes ordinaire, mais qui serait enfin chez eux. Tout deux aspiraient à ce confort simple et chaleureux, aux plaisirs de la construction, de la stabilité, de la permanence.
 

Les trois bâtiments de Berrault étaient tous identiques. La tôle ondulée couleur saumon, les géraniums, les portes vitrées et le panneau indiquant "Entrée libre" d'une écriture attachée depuis longtemps supplantée par la typographie d'imprimerie tentaient de donner un air de boutique avenante à l'entreprise, qui n'accueillait pourtant aucun particulier. L'effet, pourtant, était remarquable, et transposait à une entreprise pourtant sans intérêt flamboyant cette uniformité, cette couleur; cette texture si particulières aux logements neufs, aux balançoires juste installées et aux haies encore trop courtes. L'odeur de produit nettoyant, presque entêtante, saisissait dès l'entrée, où un comptoir un peu solitaire, derrière lequel se tenait une hôtesse encore un peu gauche, attendait les visiteurs.

Dès lors qu'il se fut présenté, Brice fut dirigé vers le service informatique de la société. On lui fit traverser le secrétariat, où une moquette grise flambant neuve, quelques plantes vertes savamment disposées et deux fontaines à eau donnaient avec un certain succès une impression de trente-septième étage d'open-space parisien. Il n'avait guère l'habitude de porter la chemise, et les plis résultant d'un repassage hasardeux donnaient à sa silhouette une asymétrie assez déconcertante de loin.

A l'arrière du bâtiment, le service informatique concentrait les derniers relents de l'usine des années 80, avec son plafond bas et ses éclairages blanchâtres. Les bureaux s'alignaient dans un grand couloir aveugle, qui, malgré les portes d'un rouge criard, dont on avait espéré, sans succès, qu'il réchauffe l'atmosphère, était parfaitement lugubre. Toutes ces portes restaient ouvertes sur des pièces plutôt exigües, grises et agencées de façon on ne peut plus fonctionnelles. Derrière chacun des écrans, le visage baignée d'une lumière bleue qui ressortait dans un bâtiment bas de plafond, par temps pluvieux, chaque informaticien scrutait son écran, et saluait au passage l'hôtesse d'un mot absent.

Brice avait ressenti de l'admiration devant la richesse affichée de l'entrée, devant cette présentation convenable sous tous rapports, devant ce sourire et cette chaleur moderne; mais il ne pouvait s'empêcher de se sentir plus proche  et plus à sa place devant ces collègues potentiels, assez gris, simples travailleurs et sans souci de modernité aucun. La modernité lui évoquait davantage l'aventure, la jeunesse, la vie citadine délurée. Il avait cependant eu sa dose de la bière qui représentait à ses yeux la jeunesse; et aspirait à une vie rangée, pleines de joies domestiques. Il en avait l'intuition profonde : derrière cette impressionnante devanture se trouvait le travail qu'il cherchait depuis maintenant six mois. Il pianoterait en paix, discuterait du tour de hanches soigneusement moulé dans le tailleur de l'hôtesse d'accueil et rentrerait à une heure raisonnable dans la maison qu'il aurait depuis faite construire.

Rajustant sans grande science un col déjà fort désordonné, il déglutit avant d'entrer dans le bureau du directeur du service, après un dernier sourire un rien condescendant de sa guide au tailleur ajusté.

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